![]() |
Souvenirs de combattants: Le caporal Albert Gotteri |
![]() |
Le 1er mai 1915, le parisien Albert Gotteri, caporal au 356e dInfanterie et photographe dart dans le civil, est tué au Bois-le-Prêtre. En 1917, son père rassemble dans un très beau manuscrit des extraits dune soixantaine de ses lettres. Il lajoute dans une reliure de chagrin tricolore à un exemplaire de louvrage Le Bois le Prêtre de Dieterlen et lorne de photographies, daquarelles ou de notices sur ce célèbre point du front de Woëvre. Ces lettres sont exceptionnelles par lhumour qui les imprègne. Les quelques extraits ci-dessous en donnent une petite idée. A la mémoire de mon fils Albert GOTTERI caporal au 356e dInfanterie. Mon fils, qui combattit courageusement au Bois-le-Prêtre, pendant toute la période traitée dans ce livre, fut parmi les héros à la gloire desquels il a été dédié. Sa mort glorieuse pour la France dans une tranchée du Bois tragique le 1er Mai 1915 à lâge de 27 ans nous fut annoncée par une belle lettre que son chef de Section, le Lieutenant Leroy, adressa aussitôt à un ami, en le chargeant de nous communiquer la fatale nouvelle. A la suite de lhommage collectif rendu par lauteur aux héroïques Loups du Bois-le-Prêtre, jai réuni quelques documents, et transcrit, avec cette lettre, quelques unes de celles qui nous ont été adressées par notre cher enfant. Ces lettres mettant en relief son courage et sa bonté jestime quelles ne pouvaient être en meilleure place pour honorer la chère mémoire de Celui que nous aimions tant et qui a été si cruellement enlevé à laffection de tous les siens. Eugène Gotteri. Documents communiqués par Régis Tessier |
3 octobre 1914. A son associé. Du fond des bois! Bougre de saligaud. Comme sur Anne, ne voyant rien venir, et désespérant davoir jamais de tes nouvelles, je me décide avant de crever, à tenvoyer quelques lignes pour te rappeler que ton cher associé est encore de ce monde Depuis le 26 septembre, en effet, nous sommes aux avant postes, privés de toutes les joies de la civilisation, et menant, au milieu des bois, la vie de lorang outang ; dormant le jour quand un pâle rayon de soleil vient à se montrer, battant la semelle la nuit pour essayer de ranimer nos extrémités pédestres complètement gelées. De temps à autre de petits crépitements secs, suivis dun petit bourdonnement musical, nous avertissent quil y a, en face, des salauds qui nous prennent pour un jeu de massacre. Avec un ensemble parfait tout le monde tombe à plat ventre jusquà ce que latmosphère soit redevenue calme. Puis, pour varier, on entend tout à coup un bruit de tonnerre suivi dun coup de sirène qui se prolonge et se rapproche ; cest un obus qui arrive. Derechef, et avec un ensemble non moins parfait que précédemment, tout le monde fait salamalec et attend en serrant les fesses. La plupart du temps, la sirène séloigne et cest avec un petit soupir de soulagement que lon entend lobus éclater à quelques centaines de mètres de là. Pourtant, il arrive quelquefois que léclatement se produit au dessus de nos estimables selves. En ce cas on serre les fesses un peu plus fort et, une fois lorage passé, on regarde si tout le monde se relève. Puis, les amochés regagnent, qui à cloche pied, qui sur le dos des brancardiers, des positions où il fait moins chaud. Je dois te dire, cependant, avant daller plus loin, que les positions que nous occupons en ce moment sont des positions de tout repos, comparées à la situation où nous nous sommes trouvés dans les mémorables journées des 21 - 22 et 23 septembre dernier
18 janvier 1915 Jai reçu hier soir une lettre retardataire de Lolotte. Elle est datée du 13. Cest celle où elle me parle de sa rencontre dans le métro avec un rescapé de Lironville. Il est certain que, même sil mavait connu, ce brave garçon naurait pu lui donner sur moi que des nouvelles plutôt anciennes. Il est vrai que depuis ce jour là nous navons pas beaucoup changé de place, et le bois qui dissimule notre village nègre nest guère quà une paire de kilomètres de lendroit même où nous nous torchâmes si agréablement le 23 septembre dernier. Vous avez sans doute entendu parler du bois de Mortmare, peut-être même avez vous remarqué dans les journaux ce nom de sinistre consonance. Eh bien les créneaux de ma tranchée moffrent une superbe vue de la lisère bien que jen soie suffisamment éloigné pour nêtre pas directement intéressé par ce qui sy passe. Vous avez sans doute également entendu parler du Bois le Prêtre. Cest quelque part entre ces deux points que je fais mon petit Robinson... 5 février 1915 Depuis quelques jours nous avons quitté notre vieille tranchée pour venir habiter un peu plus près des Boches. Notre emplacement actuel nest guère quà 3 ou 400 mètres des tranchées den face et de lendroit où je vous écris, japerçois deux braves sentinelles boches qui montrent leur tête au dessus dun buisson. Lavantage de notre nouvelle position cest que les obus y pleuvent un peu moins dru que dans lancienne, il est vrai que les coups de fusil y sont moins rares, ce qui fait que le sport y est tout aussi amusant. Malheureusement mon prédécesseur, sans doute moins soucieux que moi de son confort, navait point prévu dans sa tranchée un emplacement proportionné à la longueur des jambes des habitants ce qui nous oblige à nous coucher en chien de fusil. A part ça la petite santé nest point mauvaise et lappétit va bien... 9 mars 1915 Je suis venu, jai vu et jai été déçu. Et comment! Ainsi que je vous lécrivais avant hier, nous avons abrégé hier matin un séjour déjà fort court à Villers en Haye pour venir prendre position en première ligne dans un endroit où les promesses de sport étaient des plus réjouissantes. Il ne sagissait rien moins que dun bois voisin de Pont à Mousson qui a fréquemment les honneurs du communiqué officiel (le Bois le Prêtre pour ne pas le nommer). Janticipais là de farouches corps à corps où, tout comme dans les plus sinistres romans feuilletons, les combattants enlacés sarrachent des lambeaux de fesse avec leurs dents. Or, nous voici dans ce lieu prometteur et je retombe, comme le mois dernier, dans une tranchée mal confortable où les courants dair sont plus fréquents que les appareils à douches. De tortueux petits boyaux permettent de se promener dans le bois, dun emplacement de tir à lautre, à labri de tout coup de fusil maladroit. Il paraît que nos amis den face ne sont guère quà une cinquantaine de mètres de nous ; même, par endroits, des gens dignes de foi affirment que la distance entre les tranchées adverses ne dépasse pas vingt cinq mètres. Quoi quil en soit il existe dans cet espace un tel enchevêtrement dobstacles, tant naturels quartificiels, (le bois est très épais et nous avons de plus hérissé le tout de fil de fer barbelé, le farouche ennemi des fonds de culotte) que je nai pu encore, malgré la meilleure bonne volonté, apercevoir le moindre petit bout de casque à pointe. Jespère toutefois que mon attente ne sera pas vaine et que les longues heures passées auprès de mon fusil chargé et braqué dans une petite meurtrière blindée ad hoc seront couronnées par un résultat heureux. Seulement les Boches ne montrent pas volontiers le bout de leur nez et somme toute le sport est moins attrayant ici que dans notre ancien emplacement. Limmobilité à laquelle nous sommes plus ou moins condamnés nous permet dapprécier pleinement les dernières velléités hivernales. Il tombe une neige glaciale et le petit vent qui laccompagne est tout à fait rafraîchissant. (Pas de lainages!! s.v.p.)
11 mars 1915 Notre maison de campagne du Bois le Prêtre ne manque point de charmes. Elle a 3 m de long sur 1m 50 de large et lorsque vous saurez que nous y couchons à onze vous ne vous étonnerez point lorsque je vous affirmerai quil y fait fort chaud la nuit, malgré labsence de porte et les créneaux toujours ouverts. Notre genre dexistence est assez agréable : trois heures de faction suivies de neuf heures de repos. Repos pendant lequel nous avons repris la bonne habitude des manilles et autres distractions similaires. Pendant la faction on samuse à se canarder à travers les branches, sans autre résultat que deffaroucher les pinsons et les mésanges qui ne craignent point de saventurer entre les lignes et trouvent sans doute comme nous que le printemps tarde bien à faire son apparition.
12 avril 1915 Je suis heureux de vous savoir tous en bonne santé car voilà plusieurs jours que je navais eu de vos nouvelles. Je nai pu non plus vous écrire, car nous avons quitté notre cantonnement de repos à Blénod les Pont à Mousson dans la nuit du lundi de Pâques pour aller sortir Dudulle dune tranchée où il était particulièrement enraciné. Cette petite expédition sportive, quil nous a fallu six jours pour mener à bien, sest terminée hier et nous avons rejoint notre petite concession du Haut de Rieupt diminués de quelque cinq ou six cents poilus. A part une courbature de premier choix et une ressemblance frappante avec une motte de terre je me porte toujours à merveille et mon appétit est toujours un peu là surtout après six jours pendant lesquels les déjeuners furent beaucoup plus rares que les coups de fusil. Je termine car il est trop tard pour mettre à la poste aujourdhui et je tombe de sommeil nayant presque pas fermé lil pendant cette semaine sainte qui fut pour nous une sacrée semaine...
18 avril 1915 Notre petite existence tranquille, en face de Dudulle, dans le Haut de Rieupt a repris son cours et nous commençons à nous remettre petit à petit de nos émotions de la semaine passée. Le programme est toujours le même : six jours de tranchée suivis de deux jours de repos. Mais le véritable repos est celui que nous prenons dans les bois. Le temps sest remis au beau et nos nombreux loisirs nous permettent dapprécier comme il convient les bienfaisants effets du dénommé Soleil sur le cuir poilu. Nous passons nos journées au soleil, dans une quiétude que ne parviennent pas à troubler les coups de fusil, crapouillauds et autres feux dartifice dont Dudulle persiste à nous gratifier malgré leur peu de succès. Notre séjour au cantonnement, au contraire est toujours suivi de plus ou moins formidables gueules de bois, et personnellement je suis bien aise de retrouver un peu de tranquillité au sein de la belle nature. Malgré la belle santé, cependant, qui résulte dune aussi agréable vie au grand air je commence à trouver que les petits oiseaux chantent un peu trop toujours le même air et quil ny a rien qui ressemble autant à un bois que le bois den face, et je ne serais point fâché de revoir un peu les horizons de la rue Montmartre. Espérons que cela ne tardera plus trop maintenant.
30 avril 1915. Lettre inachevée à sa tante. Jai bien reçu ta lettre du 23 et suis désolé dapprendre que tes douleurs ne veulent décidément pas te quitter. Peut être auras tu plus de chance à Combs la Ville, le beau temps aidant. nous avons ici un soleil superbe et je suppose quil en est de même dans la région de Paris. Nous, ici, sommes bien aises de ce changement de température car, si nous cuisons dans nos tranchées le jour, nous ne souffrons plus du froid la nuit, et nous avons les pieds " au sec " chose quon ne saurait apprécier convenablement tant quon na point connu des semaines de bain de pieds forcé et perpétuel. Ce sacré Bois le Prêtre est certainement un coin assez agité et un Edgar Poë y trouverait ample matière à de terrifiantes histoires. Mais lépouvantable est, somme toute, une chose purement conventionnelle, et ce qui nous donne le classique petit frisson dans le dos les premières fois, arrive à paraître tout naturel lorsquon est forcé de le contempler tous les jours. On en vient à déjeuner de fort bon appétit dans la société dune centaine de cadavres éparpillés sur le bord de la tranchée ; et si lon rencontre dans un boyau de communication quelque membre sans propriétaire, on se contente, si lon nest pas trop pressé, de le mettre un peu de côté pour ne pas marcher dessus...
5 mai 1915. Lettre de son lieutenant à lun de ses amis convalescent. Je viens vous dire combien je serais heureux de vous savoir en voie de prompte guérison et aussi vous aviser dun événement bien triste et qui ma causé une bien grande peine. Je vous le dis, à vous, parce que je sais toute lamitié que vous aviez pour celui qui, hélas! vient de disparaître. Il sagit du brave Gotteri que javais le plaisir davoir depuis longtemps comme chef dune de mes escouades et pour lequel javais une grande affection. Il a trouvé la mort avant hier 1er mai dans une des fameuses parallèles qui se trouvent " hors bois " et où nous avions déjà passé avec vous une semaine inoubliable. Ce pauvre garçon a été tué dans les circonstances suivantes : Après les combats du 10 avril au cours desquels nous nous étions emparés dune tranchée ennemie située " hors bois " notre Bataillon était remonté au Haut de Rieupt pour une quinzaine tandis que le 5ème Bataillon, lui, restait encore là bas à organiser la position. Donc vendredi matin, à 3 heures nous sommes allés relever les Compagnies de lautre Bataillon dans les tranchées hors bois. Malheureusement, la fatalité a voulu que nous nous y trouvions dans un moment agité, nouvelle période dattaque. Aussi, samedi, avons nous passé une journée épouvantable, sous un bombardement absolument terrible, avec de grosses marmites, qui commença à 4 heures 30 pour ne sarrêter que vers 10 heures du soir. Nous nous trouvions dans la parallèle P5. Toute la matinée les obus sont tombés sans arrêt, bouleversant nos tranchées et nos boyaux, tuant plusieurs de nos hommes : caporaux Le Terme, Bordes, soldats Venetier, Franjus, Cheslin. Par miracle, à 13 heures ma section navait encore aucun mal. Je men réjouissais et tandis que, profitant dune légère accalmie, je me promenais dans ma tranchée et parlais avec mes hommes, un obus arriva brutalement et fracassa la tête de mon pauvre Gotteri, qui fut tué net, sans la moindre souffrance, à quelques mètres de moi et du sergent Petit. Lémotion que nous éprouvâmes tous à cette vue est indéfinissable. Le caporal Gotteri était, en effet, aimé de tous et adoré de son escouade qui avait su apprécier de longue date sa grande bonté et sa bravoure. Le matin même, pendant le bombardement, il avait fait encore notre admiration. Faites bien savoir, mon cher Bernard, à sa famille combien nous le pleurons. Ce matin, nous avons donné de belles funérailles à nos morts, qui, tous, ont été mis en bière et enterrés après un office religieux au milieu dune assistance nombreuse dans le cimetière militaire de Montauville près du cimetière civil. De belles couronnes ont été offertes par leurs camarades qui se chargeront bien dentretenir leur tombe. Hier soir, nous avons dépouillé les corps de nos tués et enlevé les objets qui se trouvaient dans leurs poches. Jétais à surveiller lopération. Le portefeuille de votre ami, ainsi que son alliance et ses papiers, ont été mis de côté. Voilà, mon cher Bernard, la triste nouvelle dont javais à vous faire part connaissant laffection que vous aviez pour ce brave Gotteri. Demain, nous remontons là haut. Je vous souhaite un bon rétablissement et vous envoie mon bon souvenir. |